« Le carnaval américain revient tous les quatre ans, et dure environ deux mois. Le prétexte de ce dévergondage général des esprits est l’élection présidentielle. Ce n’est pas que chacun ne prenne la chose au sérieux. On y attache au contraire un si grand intérêt que la fête se termine rarement sans émeutes et sans des batailles. Mais le jeu consiste précisément à donner une forme grotesque à un acte sérieux et réfléchi (…).
Le pays, divisé en deux camps, les pensées communes tournées vers deux hommes qui personnifient chaque parti, les passions s’allument. Liberté absolue de parler et d’écrire, de se moquer, d’insulter, de médire, d’exciter à la haine et au mépris de qui et de quoi que ce soit et non pas une liberté platonique, mais une liberté réelle et vivante, dont chacun use à ses risques et périls et dans la mesure qui lui convient (…).
Il faut bien du sang répandu pour que le côté brutal de la nature humaine trouve aussi son compte à ce grand débordement carnavalesque.
Et que dire de la presse, de ses attaques sans mesure, de ses médisances, de ses calomnies, de ses caricatures qui s’en prennent à la vie privée, et ne respectent absolument rien ? (…) »
Georges Clemenceau: Lettre des Etats-Unis, septembre 1868